- Ma Bibliothèque
- 2020 Issues
- Numéro 14
- Infiltrations intra-articulaires de corticostéroïdes dans la…
Infiltrations intra-articulaires de corticostéroïdes dans la hanche et le genou : peut-être pas aussi sûr que nous le pensions ?
POINTS CLÉS
- Les corticostéroïdes se sont révélés chondrotoxiques (toxiques pour les cellules cartilagineuses) et des niveaux plus élevés d'exposition aux anesthésiques locaux ont également été associés à une chondrolyse (mort des cellules cartilagineuses).
- L'infiltration intra-articulaire de corticostéroïdes et d'anesthésique local peut chez certaines personnes accélérer la dégénérescence du cartilage et induire un collapsus articulaire précoce [joint collapse], même chez les personnes ne souffrant pas d'arthrose ou seulement d'arthrose précoce.
- Les glucocorticoïdes peuvent également inhiber la cicatrisation osseuse, augmentant le risque de collapsus articulaire suite à une infiltration intra-articulaire de corticostéroïdes, en particulier chez les personnes atteintes d'une insuffisance sous-chondrale ou d'une ostéonécrose non identifiées.
- Les cliniciens doivent effectuer un dépistage approprié et examiner de près le bénéfice-risque de l'infiltration intra-articulaire de corticostéroïdes, en particulier chez les patients sans changement articulaire précoce ou sans perspective d'arthroplastie.
CONTEXTE ET OBJECTIFS
L'infiltration intra-articulaire de corticostéroïdes (IA-CSI), généralement associée à un anesthésique local, est couramment utilisée comme traitement de première intention des douleurs articulaires de hanche et de genou. Bien que les effets systémiques indésirables de l'IA-CSI soient rares, de nombreuses inquiétudes émergent concernant les effets indésirables sur les articulations.
D'après une méta analyse d'études scientifiques fondamentales, les corticostéroïdes se sont révélés chondrotoxiques (toxiques pour les cellules cartilagineuses), apparemment en raison de leur impact sur les protéines cartilagineuses (1). De plus, des anesthésiques locaux à des concentrations plus élevées et des expositions plus longues ont également été associés à la chondrolyse (mort des cellules cartilagineuses), avec des taux de mort cellulaire plus élevés dans le cartilage arthrosique (2). Une étude observationnelle rétrospective récente portant sur des patients souffrant d'arthrose de la hanche a rapporté que 31 sur 70 (44%) qui étaient traités par IA-CSI avaient une progression de l'arthrose dans les 10 mois suivant l'infiltration, contre seulement 17 sur 70 (24%) des patients contrôles atteints d'arthrose de la hanche (3).
Les auteurs de cette étude visaient à compléter ce qui est connu en rapportant les effets indésirables sur les articulations chez les nombreux patients qu'ils voient au sein de leur établissement.
Il est discutable que de jeunes athlètes sans changement articulaire ou avec des changements précoces soient trop souvent orientés vers une IA-CSI, dans l'idée de réduire le délai de reprise du sport.
MÉTHODE
Des données ont été collectées sur les évènements indésirables articulaires chez une population de 459 patients ayant subi une IA-CSI avec anesthésie locale dans l'articulation du genou ou de la hanche dans un contexte d'arthrose douloureuse. Comme les patients recevaient un traitement dans un service de consultations externes affilié à l’hôpital, la plupart des patients disposaient initialement d'une imagerie (une radio et +/- une IRM). La majorité des patients recevant des infiltrations (72 %) avaient une arthrose modérée (selon la classification Kellgren-Lawrence (KL) stade 3) de la hanche ou du genou (selon la classification KL : stade 0, n = 1; stade 2, n = 8; stade 3, n = 26; stade 4, n = 1). Ceux qui revenaient avec des effets indésirables ont effectué une imagerie de contrôle à des fins de comparaison.
RÉSULTATS
Sur les 459 infiltrations, les auteurs ont rapporté 36 évènements indésirables articulaires chez 36 patients (8 %). Il y avait 4 types d'évènements indésirables :
i) Une progression accélérée de l'arthrose (6 %), ii) Une fracture sous-chondrale par insuffisance osseuse (0,9 %), iii) Des complications sur une ostéonécrose (0,7 %), et iv) Une destruction rapide des articulations, y compris une perte osseuse (0,7 %).
LIMITES
Cet article a été rédigé dans un but éducatif et n'est ni un essai clinique prospectif ni une étude observationnelle rétrospective avec un suivi clinique et une imagerie standardisés. Sans suivi systématique chez tous les patients, le risque relatif lié à l'IA-CSI n'est pas clair dans la population de cette étude.
IMPLICATIONS CLINIQUES
Les auteurs de cette publication nous donnent des exemples d’évènements indésirables suite à une IA-CSI chez des patients de leur établissement et nous mettent en garde sur la nécessité d'une sélection appropriée des patients pour de telles interventions et nous donnent des informations sur le bilan pré-interventionnel. L'accélération de la détérioration articulaire pourrait être un risque acceptable pour les personnes présentant un changement articulaire avancé et des perspectives d'arthroplastie articulaire. Cependant, pour ceux qui n'ont pas de changement articulaire précoce ou aucune chirurgie prothétique en vue, la longévité de l'articulation peut être une priorité par rapport au soulagement de la douleur à court terme que procure l'IA-CSI.
D'autres rapports sont disponibles sur la progression rapide de la perte d'espace articulaire ou sur l'arthrose destructrice chez ceux qui n'avaient pas d'arthrose ou seulement une arthrose légère avant l'IA-CSI (4). Il est notamment discutable que de jeunes athlètes sans changement articulaire ou avec des changements articulaires précoces soient trop souvent orientés vers une IA-CSI, dans l'idée de réduire le délai de reprise du sport. Les patients doivent recevoir une éducation concernant les risques de l'IA-CSI, permettant ainsi une prise de décision éclairée. Retarder la reprise du sport / de l'activité pour permettre une récupération naturelle peut être utile pour la sécurité des articulations à long terme. En cas de douleur aigüe, les analgésiques oraux associés à la mise en œuvre de stratégies de gestion de la charge plus strictes, telles que l'utilisation à court terme de béquilles pour réduire les impacts, peuvent constituer une prise en charge des douleurs articulaires en première intention plus sûre.
Les auteurs de cet article préviennent également que l'IA-CSI peut non seulement avoir un effet indésirable sur les surfaces articulaires, mais aussi sur l'os sous-chondral, en particulier si une fracture par insuffisance osseuse ou une ostéonécrose est déjà présente au moment de l'infiltration. Les glucocorticoïdes peuvent inhiber la cicatrisation osseuse, et la réduction à court terme de la douleur fournie par l'IA-CSI peut permettre une plus grande mise en charge, accélérant éventuellement le collapsus articulaire. Ceci n'est pas seulement pertinent pour les patients plus âgés. On pensait que les fractures par insuffisance se produisaient principalement chez les personnes âgées avec une plus faible densité osseuse, mais il est maintenant évident que les jeunes adultes actifs peuvent également présenter une fracture sous-chondrale par insuffisance osseuse.
Les auteurs de cet article conseillent fortement l'imagerie pour dépister les fractures d'insuffisance et une ostéonécrose préexistantes avant une IA-CSI. Actuellement, il n'est pas rare de voir des rapports de radiologie où l'IA-CSI a été réalisée pendant un arthro-IRM [arthrogramme par résonance magnétique], avant que les résultats de cette analyse ne soient connus. Cela ne permet pas de dépistage avant la procédure. Les lésions osseuses précoces peuvent ne pas être évidentes à déceler sur les radiographies de base et peuvent nécessiter une IRM pour le diagnostic.
L'IRM devrait-elle alors être obligatoire avant l'IA-CSI ? Il n'existe actuellement aucune directive cohérente concernant le dépistage ou l'utilisation en toute sécurité de l'IA-CSI. Alors que certaines autorités continuent de recommander l'IA-CSI comme prise en charge de première intention de l'arthrose de la hanche et du genou, l'American Academy of Orthopaedic Surgeons n'a actuellement pas de recommandations pour ou contre l'utilisation de l'IA-CSI, ce qui suggère que les cliniciens doivent rester attentifs aux nouvelles preuves sur l'équilibre bénéfique risque relatif.
+RÉFÉRENCES
RÉFÉRENCES CITÉES
- Wernecke, C., Braun, H. and Dragoo, J., 2015. The Effect of Intra-articular Corticosteroids on Articular Cartilage. Orthopaedic Journal of Sports Medicine, 3(5), p.232596711558116.
- Breu, A., Rosenmeier, K., Kujat, R., Angele, P. and Zink, W., 2013. The Cytotoxicity of Bupivacaine, Ropivacaine, and Mepivacaine on Human Chondrocytes and Cartilage. Anesthesia & Analgesia, 117(2), pp.514-522.
- Simeone, F., Vicentini, J., Bredella, M. and Chang, C., 2019. Are patients more likely to have hip osteoarthritis progression and femoral head collapse after hip steroid/anesthetic injections? A retrospective observational study. Skeletal Radiology, 48(9), pp.1417-1426.
- Batra, S., Batra, M., McMurtrie, A. and Sinha, A., 2008. Rapidly destructive osteoarthritis of the hip joint: a case series. Journal of Orthopaedic Surgery and Research, 3(1).