Mes erreurs dans l’application de l’approche biopsychosociale – Partie 2
Dans la première partie de cette série de blogs, j’ai discuté de trois erreurs que j’ai commises dans ma carrière en utilisant le modèle biopsychosocial (BPS). Si ce n’est pas encore fait, consultez la partie 1 ICI avant de poursuivre votre lecture. Dans cette deuxième et dernière partie, je discute de quatre autres erreurs.
4 – Ne pas fixer des attentes réalistes dès le départ
Dire aux patients qu’ils ne seront peut-être jamais totalement débarrassés de leur douleur ou qu’ils ne récupéreront pas complètement est plus facile à dire qu’à faire. C’est délicat, et il y a toujours une appréhension derrière : « et si le patient ne revient pas ? » Ceci dit, il est préférable d’être réaliste dès le début plutôt que de nourrir chez les patients l’espoir d’une récupération complète et de les confronter ensuite à une déception.
Cela peut également poser problème lorsqu’il s’agit de traiter avec des assureurs tiers (c’est-à-dire l’indemnisation des accidents du travail, les véhicules à moteur) lorsque les patients, pour lesquels un rétablissement complet n’est peut-être pas un objectif réaliste, s’attendent à ce que la thérapie se poursuive jusqu’à ce qu’ils soient complètement rétablis [NDT : l’auteur exerce en Ontario au Canada]. De plus, je préfère être réaliste dès le départ plutôt que de voir un patient abandonner après deux séances en disant « Oh, Eric est un mauvais kiné parce qu’il ne m’a pas guéri. » Il y a quelques années, j’ai réalisé qu’il existait une sorte de deux poids, deux mesures : nous blâmons les médecins ou chirurgiens qui ne sont pas réalistes avec les patients, mais nous n’attendons pas la même chose de nous-mêmes.
La manière dont je procède pour fixer les objectifs se fait en deux étapes. Lors de mon évaluation subjective, je demande au patient quels sont les objectifs qu’il aimerait atteindre de manière plus générale (amélioration de la force ou de la souplesse, reprise d’une activité spécifique ou intensification d’une activité cible), puis, après l’évaluation physique, les objectifs sont affinés.
Si le seul objectif d’un patient est d’être sans douleur, je lui demande souvent : « Si vous n’aviez plus de douleur, qu’est-ce que vous feriez différemment ? » Je ne suis pas contre les objectifs liés à la douleur, mais ceux-ci doivent être réalistes et ne devraient pas être la seule finalité de la thérapie. Avoir des objectifs fonctionnels permet d’éviter que les patients (et les praticiens) n’aient trop le nez dans le guidon.
Voici quelques façons de communiquer ces résultats :
- S’il s’agit d’un patient qui aura probablement une récupération fonctionnelle complète mais qui pourrait encore avoir des douleurs, je lui dirai : « Je pense que vous devriez être capable de faire tout ou pratiquement tout ce que vous souhaitez faire en termes d’activités. Votre douleur ne devrait pas être trop perceptible et ne devrait pas avoir d’impact sur votre qualité de vie ».
- S’il s’agit d’un patient qui aura probablement des douleurs et des limitations physiques après le traitement, je dis souvent : « En raison de ces facteurs (c’est-à-dire le temps écoulé depuis la blessure, les comorbidités psychosociales ou physiques, la nature des activités du patient, etc.), je prévois une amélioration dans ces domaines, mais il se peut que vous ayez encore des douleurs ou des limitations fonctionnelles ». Bien que certains ne soient pas d’accord avec cela, j’aime aussi viser moins haut en termes d’objectifs.
- S’il s’agit d’un patient qui, selon moi, partirait après avoir reçu ces informations, je fixe des objectifs à très court terme, des « micro-objectifs », plutôt que de penser sur le long terme.
Avec certains patients, je dis également : « Je ne peux pas vous promettre que vous retrouverez votre état d’avant, mais je ne peux pas non plus vous promettre que vous ne le retrouverez pas », car certains patients (moi y compris) se sont complètement rétablis, sans douleur, après des années de douleur persistante. On ne sait jamais tant qu’on ne s’y met pas. Certains patients ne seront satisfaits que par une solution rapide, et il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire à ce sujet, mais il est essentiel de définir les attentes dès le départ.
5 – Avoir parfois des attentes irréalistes envers moi-même et mes patients
J’ai longtemps été de ceux qui se flagellaient si un patient ne récupérait pas complètement (ou même partiellement). C’est une erreur fréquente chez les jeunes praticiens passionnés par leur métier et qui veulent aider tout le monde. Mais plus j’avance, plus je réalise à quel point les patients sont complexes, et combien de facteurs influencent les résultats :
- La nature de la blessure,
- Le temps écoulé depuis l’apparition des symptômes,
- Les comorbidités physiques,
- Le niveau de forme physique initial,
- Les comorbidités psychosociales,
- Les facteurs de personnalité et les attentes,
- Les soins antérieurs (et éventuelle désinformation reçue),
- Les contraintes sociales (travail, famille, loisirs),
- La génétique,
- La simple malchance.
Dès que j’ai été assez à l’aise pour fixer des objectifs réalistes à mes patients, je me suis senti déchargé d’une pression et d’un fardeau énormes. Évidemment, c’est toujours frustrant quand un patient ne progresse pas comme prévu ou qu’il attend une guérison immédiate dès la première séance. Mais maintenant, cela arrive beaucoup moins souvent.
Avoir des attentes irréalistes à l’égard des patients peut également s’avérer problématique. Je me sentais frustré si les patients arrivaient en retard, ne faisaient pas leurs exercices ou s’adonnaient à des activités qui aggravaient leur état. Bien que ces points soient tous pertinents, on en revient toujours aux questions suivantes :
- Le programme est-il réaliste pour ce patient ?
- Les objectifs sont-ils réalistes ?
Si un patient de 17 ans souffrant de douleurs à l’épaule exerce un travail physique 12 heures par jour, ses résultats ne seront pas les mêmes qu’avec un jeune de 17 ans souffrant de la même blessure et qui est en vacances scolaires. La capacité du second patient à faire de la rééducation et à gérer la charge sur son épaule est bien plus grande que pour le premier. Ainsi, en dépit des mêmes blessures, le deuxième patient obtiendra probablement de meilleurs résultats. J’avais l’habitude de me sentir frustré avec ces patients, mais en prenant de l’expérience, je me suis rendu compte que d’autres aspects de leur vie étaient peut-être plus importants à l’instant t. Maintenant, je l’accepte et je m’efforce de fixer des objectifs et des programmes réalistes.
6 – Trop me focaliser sur la douleur et pas assez sur la fonction
Ce point est un peu redondant avec les points 4 et 5, mais il est important de le mentionner car de nombreux praticiens et patients pensent que la toute puissante échelle de 1 à 10 est le principal (voire le seul) indicateur de progrès. Comme je l’ai écrit dans mon blog sur les échecs en kinésithérapie (1), il est important de se concentrer sur les progrès au-delà de la douleur, sinon vous risquez d’avoir l’impression que vous et vos patients n’allez nulle part. Il est important de disposer de mesures fonctionnelles de l’amélioration qui soient pertinentes pour le patient, ainsi que de points dans le temps pour réévaluer les résultats et célébrer les petites victoires.
7 – En faire trop et négliger ma propre santé mentale
J’ai déjà beaucoup écrit sur les erreurs que j’ai commises :
- Ne pas gérer ma propre santé mentale et devoir faire face au stress, à l’anxiété et à la dépression.
- Me vider de toute mon énergie (même dans des activités que j’aimais) et faire un burn-out.
C’est pourquoi (et compte tenu du fait que cet article compte déjà plus de 1 100 mots), je vous encourage à lire mon article sur mes propres expériences et leçons en matière de santé mentale et de bien-être personnel (2). Cependant, ces erreurs concernent davantage des choses que je faisais et des sentiments que j’éprouvais en dehors de mon travail clinique direct.
Dans mon ancien poste, je travaillais avec une population quasi exclusivement composée de patients souffrant de douleurs chroniques à la suite d’accidents du travail. Très souvent, les obstacles à la guérison rencontrés par mes patients échappaient à mon contrôle (obstacles professionnels, psychologiques ou personnels, comorbidités médicales) ou étaient si profondément ancrés (comportements excessifs face à la douleur, croyances inadaptées) qu’il était extrêmement difficile de les modifier.
Aujourd’hui encore, j’aime sincèrement le personnel avec lequel j’ai travaillé et je leur suis extrêmement reconnaissant pour tout ce qu’ils ont fait pour moi et pour les leçons que j’ai apprises. Cependant, je n’ai pas réalisé avant d’avoir changé d’emploi au début de cette année que je tournais à vide émotionnellement et mentalement et que je n’avais pas la capacité de gérer une masse de cas aussi complexes. J’étais stressé, épuisé, déprimé et je n’avais pas ce « petit quelque chose en plus » quand j’en avais besoin. Lorsque je suis passé à un service d’orthopédie générale et de kinésithérapie du sport, mon humeur et mon énergie se sont améliorées de 80 à 90 %. Cela s’est vu dans mes soins cliniques et en dehors du travail.
Je me souviens que Kieran O’Sullivan, lors de son cours en ligne sur la thérapie fonctionnelle cognitive en début d’année, a dit quelque chose comme (et je vais me tromper) : « C’est bien d’avoir des patients complexes, mais il faut aussi avoir des cas simples, comme une simple entorse de la cheville ou une fracture du poignet qui sort du plâtre. »
En résumé, la prise en charge de soi ne concerne pas seulement ce que l’on fait en dehors du travail (un bon sommeil, une bonne alimentation, de l’exercice, des moments de détente et des moments avec les amis ou la famille), mais aussi ce que l’on fait dans le cadre du travail (avoir une charge de travail qui corresponde à ses passions et à ses intérêts et qui soit supportable sur le long terme).
Conclusion
Cette série d’articles n’a pas été facile à écrire. Il est toujours difficile pour quelqu’un d’admettre publiquement ses erreurs, en particulier sous le regard des réseaux sociaux, mais il est important pour moi de partager ces informations car je souhaite que les professionnels / étudiants en prennent conscience et, je l’espère, évitent certains de ces pièges. J’espère donc que cette série d’articles vous aidera à éviter de commettre certaines des erreurs que j’ai pu réaliser lors de la mise en œuvre de l’approche biopsychosociale.
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