Entorse de cheville : repenser la mobilisation postérieure du talus et le concept Mulligan (MWM)
La mobilisation en postériorisation du talus est de loin l’une des plus utilisées par les praticiens, et également l’auto-mobilisation la plus populaire sur les réseaux sociaux concernant le pied et la cheville. J’ai arrêté de compter après avoir vu plus de 107 vidéos Youtube de la fameuse auto-mobilisation avec élastique (présentée dans la figure 1). Cette mobilisation est particulièrement populaire en partie du fait de la fascination de la dorsiflexion de « cheville » et son importance souvent incomprise dans la marche, dans les différents types de squats, et dans des mouvements sportifs. Les limitations de dorsiflexion de cheville sont devenues une présentation stéréotypée chez les joueurs de NBA, notamment à cause de la fréquence élevée de leurs blessures au pied et à la cheville, et sont donc vues comme un élément essentiel que les praticiens de la Ligue cherchent à améliorer. Lorsque j’ai été introduit aux mobilisations postérieures du talus, je voyais de nombreux praticiens l’utiliser, et elle était l’une des seules mobilisations enseignées pour améliorer la dorsiflexion de cheville dans la plupart des cours de thérapie manuelle. Après l’avoir utilisée séance après séance avec peu voire pas de changement durable chez mes basketteurs de NBA, j’ai commencé à questionner sa réelle utilité. Vous avez peut-être d’ailleurs eu une expérience similaire à la mienne.
Le but de cet article est de mettre en lumière l’importance des trois plans de l’articulation talo-crurale et ses relations couplées entre l’articulation subtalaire (talo-calcanéenne), l’articulation talo-calcanéo-naviculaire et l’articulation articulation transverse du tarse (Chopart), afin de faire évoluer notre raisonnement du simple au plus complexe. À travers le prisme de la complexité, vous verrez que nous avons beaucoup plus de possibilités d’évaluer et d’intervenir au niveau de ces articulations que ce qui est généralement enseigné ou compris.
L’histoire du concept Mulligan
La plupart des praticiens utilisent toujours cette mobilisation (figure 2) popularisée par Mulligan en 1999, mais avec le temps, elle est maintenant utilisée différemment de ce qui a été proposé il y a 25 ans. Collins et al. en 2004 décrivent le véritable objectif de cette mobilisation : « L’approche thérapeutique de la mobilisation avec mouvement (MWM) pour améliorer la dorsiflexion après une entorse latérale de la cheville combine un glissement postéro-antérieur relatif du tibia sur le talus (ou un glissement antéro-postérieur relatif du talus sur le tibia) avec des mouvements actifs de dorsiflexion, de préférence en charge (Mulligan, 1999) ».
Voilà le problème : cette mobilisation a été créée pour réduire la translation antérieure excessive du talus à la suite d’une entorse du ligament talo-fibulaire antérieur (LTFA) ou d’une entorse latérale de la cheville. Tous les articles que j’ai trouvés datant de cette époque traitaient de l’utilisation de cette mobilisation pour les entorses aiguës ou subaiguës de la cheville. Aujourd’hui, les praticiens l’utilisent simplement pour augmenter la dorsiflexion car elle correspond au glissement convexe sur concave de l’articulation talo-crurale dans la chaîne ouverte de dorsiflexion de l’articulation talo-crurale.
Les règles convexes-concaves pour la dorsiflexion en chaîne fermée de l’articulation talo-crurale (le tibia roule et glisse antérieurement sur le talus) ne justifient pas l’utilisation d’un glissement postérieur. On peut penser que l’apport d’une force de stabilisation postérieure au talus facilitera le mouvement relatif nécessaire pour permettre au tibia d’effectuer une rotation antérieure plus efficace. Cela serait logique si cette articulation était purement une articulation trochléenne dans le plan sagittal. Je déconseille au contraire fortement cette méthode car elle inhibe le mécanisme de rotation conjointe qui accomplit précisément cette tâche permettant un mouvement relatif dans le plan transversal (rotation médiale / latérale) et frontal (éversion / inversion) entre le talus et le complexe tibio-fibulaire, et les relations couplées simultanées entre le talus et les articulations subtalaire, talo-calcanéo-naviculaire et transverse du tarse.
Biomécanique de l’attaque talon et du pied plat
Chez les patients asymptomatiques, le talus ne se déplace jamais vers l’arrière au cours de ce processus. En fait, lorsque la force de réaction au sol (FRS) postérieure provoque la flexion plantaire, l’abduction et la légère inversion du talon au moment de l’attaque du talon pendant la marche, le vecteur du poids du corps qui se déplace antéro-inférieurement se déplace vers le bas à travers le complexe talo-crural, provoquant la flexion plantaire, la translation antérieure et l’adduction du talus par rapport au calcanéum, mais l’abduction du talus par rapport au tibia ! Cette translation antérieure est résistée passivement par les ligaments talo-calcanéens postérieurs, le ligament interosseux, et retenue médialement par le ligament talo-calcanéen latéral. Le tendon du tibial postérieur (PTCR – voir figure 3) résiste activement à ce mouvement par l’intermédiaire d’un vecteur postérieur qui tire la surface articulaire du naviculaire vers la tête du talus, ce qui entraîne une fermeture de l’articulation talo-naviculaire par une force de compression. Médialement, le talus est également résisté par la paroi médiale-inférieure du ligament calcanéo-naviculaire plantaire de l’articulation talo-calcanéo-naviculaire (oui, il s’agit d’une véritable articulation) et par la compression médio-latérale exercée par les tendons du tibial postérieur et du muscle long fléchisseur des orteils.
Qu’est-ce que la rotation relative et pourquoi est-elle si importante ?
En général, ce sujet peut être très déroutant en raison d’un manque de terminologie cohérente et d’explications réductrices pour simplifier les choses, c’est pourquoi une relecture peut être nécessaire. L’objectif de cette explication est de simplifier les choses sans perdre les détails importants qui sont cliniquement pertinents pour votre pratique. L’aspect le plus important à retenir est qu’il faut toujours définir des points de référence clairs, sinon l’ambiguïté peut conduire à une mauvaise interprétation.
Dans ce contexte, on parle de rotation relative lorsque deux os s’articulent l’un avec l’autre et se déplacent dans la même direction, alors que l’un de ces os se déplace plus lentement que l’autre. Vous avez peut-être lu que pendant la « pronation », le talus est en adduction pendant les phases d’appui de la marche. C’est vrai, mais il n’est pas précisé qu’il s’agit de l’adduction du talus par rapport au calcanéum. Vous voyez, sans point de référence, ces termes ne veulent rien dire et prêtent à confusion. La façon la plus simple d’y penser est le vieil exemple de la vitesse relative de deux voitures se déplaçant dans la même direction. Dans le premier exemple, les deux voitures se déplacent dans la même direction à la même vitesse. Par conséquent, du point de vue des deux voitures, aucune d’entre elles ne semble se déplacer (pas de mouvement relatif). Dans le deuxième exemple, la voiture violette roule plus vite que la voiture rouge, de sorte que, du point de vue de la voiture violette, la voiture rouge recule et vice versa du point de vue de la voiture rouge, où la voiture violette semble avancer (augmentation du mouvement relatif).
Il en va de même pour le talus, le complexe tibio-fibulaire et le calcanéum. En termes simples, jusqu’à l’apparition du « pied plat », l’articulation talo-crurale se déplace dans des directions opposées à celles du calcanéum dans l’axe vertical (adduction / abduction). Au cours de ce même mouvement, le talus et le complexe tibio-fibulaire se déplacent dans la même direction mais à des vitesses différentes, ce qui permet d’augmenter les degrés de liberté au sein de l’articulation talo-crurale. Cette rotation relative au sein de l’articulation talo-crurale est essentielle pour une dorsiflexion correcte de l’ensemble du pied et de la cheville, et un glissement talaire postérieur ne permet pas d’y remédier de manière adéquate.
Conclusion
L’objectif de la mobilisation des articulations est de fournir un apport neurologique en utilisant une biomécanique appropriée comme conduit pour induire une adaptation souhaitée au fil du temps. En effectuant cette mobilisation de manière chronique, je considère que, dans le pire des cas, nous transmettons au système nerveux et aux tissus locaux des données antiphysiologiques qui inhibent la capacité de mouvement, et que, dans le meilleur des cas, nous perdons tout simplement notre temps.
Imaginez une symphonie complexe interprétée par un orchestre complet où chaque instrument joue un rôle crucial dans la production d’une musique harmonieuse. Supposons maintenant qu’il y ait une section où deux instruments semblent légèrement désynchronisés, ce qui modifie la façon dont les sections voisines jouent et se propage encore plus loin à l’ensemble. Si le chef d’orchestre se concentre uniquement sur la section initiale et ajuste les tempos des deux instruments qui ont déclenché le chaos, le problème initial entre les deux instruments pourrait s’améliorer légèrement, mais le son global de la symphonie resterait sous-performant parce que les relations interconnectées entre tous les instruments n’ont pas été prises en compte.
Le complexe du pied et de la cheville, semblable à une belle symphonie, est un complexe de biotenségrité qui repose sur la coordination de multiples degrés de liberté offerts par ses 30 os (je compte aussi les sésamoïdes), ses structures ligamentaires et ses unités musculo-tendineuses, ce qui lui confère une extrême habileté. Ce sont ces relations qui rendent ce complexe si particulier, mais aussi difficile à enseigner et à étudier. Néanmoins, nous devrions nous efforcer de continuer à étudier ces interactions complexes, car c’est grâce à ces explorations que nous pourrons découvrir des méthodes permettant de réduire les blessures persistantes des membres inférieurs et des pieds qui continuent de toucher les athlètes, dont les joueurs de NBA.
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