12 astuces pour changer les croyances de vos patients
Un concept relativement nouveau a émergé dans le domaine de la rééducation au cours des 10-11 dernières années, en partie grâce à des personnes comme Peter et Kieran O’Sullivan : celui du changement de croyances chez les patients. C’est un domaine complexe, à la croisée de la rééducation traditionnelle et de la psychologie, qui peut être efficace et parfois indispensable pour aider certains patients à progresser.
Dans cet article, je partage des astuces que j’utilise et que je recommande pour accompagner le processus de changement de croyances chez les patients.
Avant d’aller plus loin, voici quelques ressources supplémentaires pour ceux qui souhaitent approfondir des sujets similaires et la rééducation bio-psycho-sociale en général :
- Un cadre pour optimiser l’entretien avec le patient et les résultats cliniques
- Connaître la douleur : guide pratique pour le traitement de la douleur chronique (j’ai un biais car j’ai suivi le cours de Mike Stewart en personne en 2019).
Astuce #1 – Accepter que changer les croyances peut être difficile
Le changement de croyances peut aller de quelque chose d’aussi simple que de faire comprendre rapidement à un patient qu’un peu d’activité – même en présence de douleur – est acceptable, à quelque chose d’aussi complexe que des croyances fortement enracinées sur le corps, difficiles à modifier malgré de nombreux conseils contraires donnés par des amis, de la famille et des professionnels de santé. Parfois, ces croyances ne correspondent même pas objectivement à la situation clinique ou aux résultats de l’examen physique.
Comme je l’ai déjà dit à un de mes élèves, à l’école de kinésithérapie, on ne nous apprend pas qu’il y a une personne attachée à la partie du corps blessée que nous essayons de rééduquer. Nous avons tous nos propres connaissances, notre culture, nos croyances et nos attentes, qui influencent notre perception des choses.
Peter O’Sullivan a récemment déclaré dans une interview (1) que, même si ses vidéos donnent l’impression que le changement de croyances et de comportement est facile et immédiat, ces processus prennent souvent du temps. Les patients doivent être prêts à effectuer ces changements, et certains ne le sont pas.
C’est aussi une situation délicate car nous sommes la première génération de cliniciens à pratiquer cela à grande échelle. Ce n’est pas comme la rééducation de la coiffe des rotateurs où nous avons des milliers de cas et des dizaines d’exercices référencés. Nous ferons des erreurs, et cela fait partie du jeu.
Lorsque je vois un patient qui ne progresse pas malgré un engagement considérable dans le processus, ce n’est souvent pas la taille de la lésion ou l’ampleur de l’arthrose qui constitue la principale barrière à la récupération, mais plutôt d’autres facteurs tels que :
- S’attendre à une solution rapide,
- Manquer de confiance en soi, en la rééducation ou en son propre corps,
- Avoir de mauvaises stratégies d’adaptation à la douleur et adopter des comportements contre-productifs (ex . faire un excès d’exercices de rééducation, changer constamment de praticien en peu de temps, rechercher excessivement des informations sur Internet, ou paniquer lorsqu’il n’y a pas d’amélioration immédiate),
- Ne pas être prêt à changer ses croyances ou ses comportements.
Accepter que c’est difficile, qu’il y aura des erreurs et des échecs, est probablement l’aspect le plus important du processus.
Astuce #2 – Gérer son temps
On ne peut pas avoir des discussions sur le changement de croyances dans les cinq dernières minutes d’une séance, juste avant de se préparer pour le patient suivant. Ce sont des discussions qui doivent être initiées au début ou en milieu de séance.
De plus, les patients nécessitant une approche plus informée sur le plan psychologique, incluant du changement de croyances, du soutien, de l’éducation, etc., devraient être programmés pour des séances d’au moins 30 minutes MINIMUM. Désolé, mais 10-15 minutes ne suffisent tout simplement pas.
Astuce #3 – Ralentir
C’est une erreur que je vois souvent chez les cliniciens, et que je fais moi-même parfois : aller trop vite. Cela peut être dû à plusieurs raisons, notamment :
- Travailler dans un cabinet très occupé et ressentir une pression liée au temps,
- Vouloir « accélérer » le processus par crainte que :
- Le patient n’ait pas assez de séances remboursées,
- Ou qu’il soit mécontent de ne pas progresser ou de ne pas recevoir suffisamment de soins manuels,
- Ne pas être à l’aise avec le changement de comportement et préférer se concentrer sur l’exercice, la thérapie manuelle et les techniques classiques enseignées en formation.
Ces préoccupations sont légitimes, mais :
- La plupart des patients apprécient d’être écoutés attentivement, surtout dans un monde où les professionnels de santé les interrompent souvent rapidement (2),
- Certains patients recherchent une solution rapide et peuvent avoir besoin d’échouer plusieurs fois avant de comprendre qu’un changement est nécessaire,
- Certains patients ont des attentes rigides et ne seront pas satisfaits, quoi que vous fassiez. C’est comme ça.
La clé est de ralentir soi-même. Après une journée chargée avec des patients à la chaîne, quelques secondes de respiration profonde avant une interaction plus complexe peuvent être très bénéfiques.
Astuce #4 – Écouter activement et avec réflexion
C’est un principe assez simple, abordé dans de nombreux papiers, aussi bien en rééducation qu’en dehors. Je ne vais donc pas m’y attarder ici.
Astuce #5 – Reconnaître et valider les croyances antérieures
Il est fort probable que vous ayez eu, à un moment donné, les mêmes croyances que vos patients (ex. « la douleur signifie toujours une lésion », « la douleur est uniquement due à la biomécanique et à la charge tissulaire », « l’imagerie est le diagnostic miracle », « la chirurgie est la solution à tout »).
Un élément clé d’une alliance thérapeutique efficace, de la communication et d’une approche psychologiquement informée est de s’assurer que le patient se sente écouté et validé.
Quelques exemples de validation que j’utilise :
- « C’est une croyance très répandue chez mes patients. »
- « Oui, c’était l’opinion dominante sur ce sujet auparavant. »
- « C’est intéressant, dites-m’en plus à ce sujet. »
- « Je comprends tout à fait pourquoi vous ressentez cela. »
J’aime aussi demander aux patients d’où viennent leurs croyances – cela peut être des amis, de la famille, d’Internet, d’autres professionnels de santé, ou de leur propre interprétation.
Astuce #6 – Demander la permission
Aller droit au but en remettant en question les croyances d’un patient est la définition même d’une rupture rapide de l’alliance thérapeutique. J’ai déjà fait cette erreur, et probablement vous aussi.
Une fois que vous avez évalué le patient et déterminé qu’il est approprié de remettre en question certaines croyances, il est important de demander d’abord la permission.
Exemples :
- « Puis-je remettre cela en question, si vous êtes d’accord ? »
- « Seriez-vous d’accord pour que je vous partage une autre perspective et des données plus récentes sur le sujet ? »
- « Puis-je vous aider à comprendre l’origine de cette croyance et vous proposer une vision alternative ? »
Dans toute conversation délicate, demander la permission peut grandement faciliter les choses.
Astuce #7 – Rendre cela pertinent pour le patient
Un bon exemple est la recherche sur les hernies discales. Beaucoup d’études réalisées dans les années 90 et 2000, associées à une mauvaise transmission des connaissances, ont donné l’impression que les disques intervertébraux étaient comme de la gelée, s’usant inexorablement avec les flexions répétées. Aujourd’hui, des recherches plus récentes montrent que la grande majorité des hernies discales guérissent (3) et que les disques peuvent s’adapter dans une certaine mesure (4), bien que ce soit un domaine nécessitant beaucoup plus de recherches.
Certaines études qualitatives sur l’éducation à la douleur (5) montrent que celle-ci doit être pertinente pour le patient afin d’être efficace.
Astuce #8 – Avoir plusieurs approches
Disposer de multiples moyens pour modifier les croyances des patients, à travers différentes analogies et modes de communication, peut rendre le processus plus efficace.
Astuce #9 – L’associer au mouvement
Certaines recherches (6) indiquent que combiner l’éducation sur la douleur avec du mouvement est plus efficace que l’éducation seule. Il y a une différence entre enseigner un concept et le faire expérimenter au patient.
Quelques exemples que j’utilise :
- Pour les patients qui ont une appréhension à bouger leur dos et ressentent de la douleur en contractant leurs muscles, intégrer la respiration au mouvement peut rendre ces gestes plus confortables et leur permettre de reprendre le contrôle sur leur douleur,
- Pour les patients qui ont tendance à se précipiter, utiliser un minuteur et les guider dans l’exercice leur permet de comprendre l’importance de ralentir et de prendre des pauses adaptées.
Astuce #10 – Faire preuve de patience
Encore une fois, le changement de croyance et de comportement est un processus long et difficile. Un patient souffrant de douleurs lombaires chroniques ne va pas, après avoir lu « Explain Pain », soudainement sauter de joie et vivre une vie sans douleur. Ces transformations prennent du temps.
Astuce #11 – Savoir quand arrêter
C’est là que ma passion pour l’histoire entre en jeu : les grands généraux savaient quand interrompre une attaque pour mieux revenir plus tard.
J’applique le même principe à la rééducation. Certains patients ne sont pas prêts à changer leurs croyances et les défendront fermement. Vous pourriez observer qu’ils ne sont pas réceptifs, que vous allez vers un désaccord majeur, ou qu’ils ne comprennent tout simplement pas.
C’est à ce moment-là qu’il faut savoir interrompre la discussion et essayer une autre approche. Il n’est pas nécessaire de modifier toutes les croyances dysfonctionnelles de chaque patient. J’ai fait cette erreur, et j’ai vu d’autres la faire aussi. Nous savons que certaines choses aident, comme :
- Une reprise progressive de l’activité,
- Des exercices et des mouvements bien tolérés,
- Un bon état de santé physique et psycho-social général.
Ne vous enfermez pas dans une discussion qui risque de nuire à votre alliance thérapeutique. Faites une pause et revenez plus tard.
Astuce #12 – Savoir quand orienter vers un collègue
À l’automne 2020, lorsque le Canada était à nouveau en confinement partiel, j’ai suivi la version en ligne du cours Clinical Companion to Fix Your Own Back de Phillip Snell. Il y expliquait que, lorsque nécessaire, il est utile d’orienter les patients vers des thérapeutes spécialisés dans certains domaines (comme le changement de croyances, l’entretien motivationnel, la thérapie d’acceptation et d’engagement, l’éducation à la douleur, la réassurance).
Avec le temps, ce message a de plus en plus résonné en moi.
Beaucoup de kinésithérapeutes ont choisi ce métier non seulement pour aider les autres, mais aussi parce qu’ils aiment la thérapie manuelle et l’exercice physique. Se tourner vers un travail plus centré sur la communication, l’alliance thérapeutique et la psychologie peut sembler être un virage à 180°. Mais ce n’est pas forcément l’un ou l’autre. Il m’arrive d’intégrer la thérapie manuelle et les exercices tout en faisant de l’éducation, de la réassurance et de l’entretien motivationnel. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde.
Si un clinicien ne se sent pas à l’aise avec ces aspects, travailler avec un collègue plus expérimenté dans ce domaine est une excellente alternative.
De même, si des troubles psychologiques importants influencent les croyances du patient (phobies, PTSD, anxiété sévère, dysrégulation émotionnelle), il est indispensable de collaborer avec des professionnels de santé mentale.
Conclusion
Ouf ! Ça fait beaucoup d’informations, mais j’espère que cet article vous apportera quelques conseils utiles sur ce sujet difficile mais essentiel qu’est le changement de croyances.
Merci de m’avoir lu !
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